En 1613, les Romanov ont été portés sur le trône de Russie à l'issue desiècles tragiques où le pouvoir a été transmis ou conquis par le meurtre. De 1613 à 1917, quinze souverains donttrois femmes ont incarné la dynastie. Les Romanov ont gouverné un empire devenu le pays le plus étendu du monde - ce qu'il est encore en 2013. Cette dynastie exceptionnellement brillante, certains empereurs - Pierre le Grand, Catherine II, Alexandre II - comptent parmi les plus hautes fi gures de l'histoire universelle, a permis à la Russie de devenir une très grande puissance européenne puis mondiale. Pourtant, le sang n'a cessé de couler au pied du trône. De là, trois questions, l'histoire russe a-t-elle créé les conditions de cette violence ininterrompue? Le destin tragique de cette dynastie était-il écrit dans son passé: invasions, cultures, religions diverses qui se mêlaient sur la terre russe? Ce rapport inédit du pouvoir légitime et de la violence conduisaient-ils inéluctablement à la tragédie fi nale et au système totalitaire dont la capacité de durer et la violence furent non moins exceptionnelles ? Historienne de la Russie, Hélène Carrère d'Encausse est membre de l'Académie française depuis 1991 où elle a été élue Secrétaire perpétuel en 1999. Elle a reçu le prix Aujourd'hui pour L'Empire éclaté (Flammarion) en 1978, le prix Louise-Weiss en 1987, et le prix Comenius en 1992 pour l'ensemble de son oeuvre. Sa biographie de Nicolas II (Fayard 1996) a obtenu le prix des Ambassadeurs en 1997.
Ce second volume consacré aux Sites de la mémoire russe poursuit et complète un relevé de la civilisation russe qui s'inspire des Lieux de mémoire de Pierre Nora. Ni articles sociologiques ou anthropologiques, ni encyclopédie, c'est un choix des topoï de la mémoire russe. Lieux et institutions de cette mémoire dans le tome 1, consacré à sa géographie, grandes étapes de son fonctionnement et dysfonctionnement dans ce tome 2, consacré à son histoire.
Le "récit historique russe" naquit au début du XIXe siècle, avec Nicolaï Karamzine. Il est étayé par "l'invention" des Antiquités russes, la série des Chroniques commencée sous Nicolas Ier et poursuivie aujourd'hui, les lettres écrittes sur écorce de bouleaux découvertes depuis 1951 dans les fouilles de Novgorod. Peinture et musique russes ont grandement contribué à ce récit et sont donc amplement traitées, tout comme l'histoire de l'Église et du sentiment religieux.
Le mythe dominant est celui de Pierre le Grand, on verra combien le premier empereur prit soin de le forger lui-même. Mais il y en a bien d'autres : celui de la révolte russe (Stenka Razine, Pougatchov, les décembristes, Octobre 1917), ou "Moscou Troisième Rome". Le corps embaumé de Lénine, la silhouette de Staline réapparue aujourd'hui témoignent des soubresauts de cette mythologie.
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La richesse et la grandeur impressionnantes de cette mémoire se conjuguent avec les crises d'amnésie et d'hypermnésie. Autant de paradoxes plus actuels que jamais pour comprendre la Russie.