Les risques écologiques et politiques actuels expliquent le climat d'anxiété dans lequel nous vivons. Tout en soulignant la dynamique destructrice du désespoir, Corine Pelluchon montre que la confrontation à la possibilité d'un effondrement de notre civilisation est l'occasion d'un changement ouvrant un horizon d'espérance. Cela suppose de comprendre que l'espérance n'a rien à voir avec l'optimisme qui masque la gravité de la situation et qu'elle se distingue aussi de l'espoir qui exprime le souhait de voir ses désirs personnels se réaliser. Opposée au déni, l'espérance implique l'épreuve du négatif. Elle est la traversée de l'impossible.
"Ce texte reprend et réélabore de nombreuses remarques sur la décroissance: il s'efforce de les présenter de façon synthétique sous une forme unifiée et cohérente centrée sur la tension entre le défi
d'une pédagogie visant à l'émancipation de la religion économique et les institutions faites pour promouvoir le culte de la croissance tout particulièrement dans la formation scolaire." Serge Latouche
« L'insomnie a son panthéon, ses héros ; elle a surtout sa bibliographie. Elle est un genre littéraire : elle se donne la forme du fragment, du méandre, de la phrase coupée ou du ressassement épuisé ; elle se donne, autrement, la forme du délire. S'y égrènent des remèdes, des échecs, des colères, des fanfaronnades ; elle se fait journal pour se trouver une raison d'être. Si l'on écrit tant sur elle c'est aussi qu'elle demeure, avec les rêves, le principal point d'entrée vers le sommeil. »
La nuit est vouée au sommeil ; mais personne, jamais, n'a su dormir. La preuve de cet universel, du petit malheur auquel il nous voue indépendamment de nos conditions, est cherchée ici dans des grottes coupées du temps, entre les lignes de la notice d'un somnifère, en remontant les sources crues des contes de fées, dans la science-fiction et ce qu'elle fait aux rêves, au verso des esquisses de la Renaissance, à l'intérieur de boîtes où la lumière blanche divertit la nuit noire, au coeur de l'urbanité noctambule.
Eloge funèbre d'Emerson à celui qu'il tenait à la fin de sa vie pour son meilleur ami est une sorte de jugement dernier, au terme duquel il lui accorde une place en tout lieu de savoir, de vertu et de beauté. Hommage à ce jeune rebelle qui lui avait semblé avoir l'étoffe d'un grand homme mais qui se contentait d'être "le capitaine d'une cueillette de myrtilles".
Dans ses "Mémoires", Casanova fait le récit des visites qu'il a effectué chez Voltaire. Linda Gil offre ici une nouvelle édition critique de ce récit, qui donne à entendre des échanges de haute volée sur l'actualité littéraire, politique et philosophique de cette année 1760, à l'heure où Voltaire entame sa décennie la plus combattive.
Considéré parfois comme le malin génie ou le deus absconditus de la philosophie française d'après-guerre, tant ses leçons paradoxales et provocatrices auront attiré les brillants esprits d'alors (de Lacan à Queneau, en passant par Bataille, Merleau- Ponty et Michel Leiris), le jeune Kojève (1902-1968) s'inscrit pourtant d'abord dans la philosophie russe et ses débats. Et, parmi ces derniers, il y est souvent question de bouddhisme. La Russie, en effet, s'est toujours réfléchie comme une frontière ou comme un point de passage et de mélange entre l'orient et l'occident, entre l'Europe et l'Asie.
"L'innocente jeunesse se rend à l'Université pleine d'une confiance naïve, et considère avec respect les prétendus possesseurs de tout savoir, et surtout le scrutateur présomptif de notre existence. Elle se rend donc là, prête à apprendre, à croire et à adorer. Si maintenant on lui présente, sous le nom de philosophie, un amas d'idées à rebours, un assemblage de mots qui empêche tout cerveau sain de penser, un galimatias qui rappelle un asile d'aliénés, alors l'innocente jeunesse dépourvue de jugement sera plaine de respect aussi pour pareil fatras, s'imaginera que la philosophie consiste en un abracadabra de ce genre, et elle s'en ira avec un cerveau paralysé où les mots désormais passeront pour des idées." (Schopenhauer)
Agnes Heller dans ce recueil sur l'Europe, met en discussion les "valeurs communes européennes", s'interroge sur le rôle des simples citoyens et se demande si: "L'Europe est quelque chose de plus qu'un musée?" Dans ces textes, il est question des grands paradoxes qui caractérisent si bien le continent européen que la culture occidentale : l'universalisme humaniste et le fanatisme nationaliste, la tolérance et la xénophobie, le totalitarisme et la liberté.
Pour Leopardi la réalisation de ce qui est juste dans ce monde exécrable n'est pas seulement quelque chose d'héroïque, mais requiert conscience et sagacité, habileté et curiosité. Ce sont ces expériences intrépides, avec le "monde" explosif, qui rendent sa pensée si attachante. Elle prendra la forme d'un oracle manuel, un art de prudence pour rebelles. En effet son moralisme strident et destructif fait penser à Gracián plus qu'à tout autre. Mais ce que Leopardi a su tirer de lui-même dans la solitude de Recanati et de Florence n'a pas le calme et la plénitude que Gracián doit à la vie de cour. Certaines de ces pensées conservent l'accent d'une maturité précoce. Mais en contrepartie, elles sont émaillées de lueurs de cette jeunesse solitaire et de citations tristes d'auteurs anciens, souv
Si chacun peut faire le constat qu'il est relié à la planète entière et au sort de tous les humains et non-humains qui y vivent, partout la relance des politiques nationales de sécurité, voire d'immunité, l'encourage au repli sur soi, à l'indifférence et, plus encore, à la peur des autres. Ainsi naît l'indésirabilité. A l'heure de la globalisation, l'étranger n'existe plus que sous la forme de l'indésirable. Tout ce qui est désirable est rendu proche, acceptable et vite familier, le reste est dérangeant, jetable, et peut être abandonné.
Agir, s'émouvoir et progresser : en trois chapitres choisis parmi ses Éléments de philosophie, le plus fluide des penseurs du siècle dernier éclaire l'existence humaine à la lumière de ses phrases. Il a conscience que la vie est un jeu ; mais il prend au sérieux l'expérience des passions, qu'il détaille avec humanité. Il veut être un appui pour acquérir la vertu
Elles sont parmi les habitants les plus nombreux de notre planète et pourtant la philosophie les a négligées, voire haïes : les plantes ont depuis toujours été la cible d'un snobisme métaphysique. Malgré le développement de l'écologie, la démultiplication des débats sur la nature ou sur les questions animales, les plantes - leur forme de vie, leur nature - restent une énigme pour la philosophie. En mêlant exemples tirés de la philosophie, des sciences naturelles et de l'art, ce livre s'efforce de pénétrer le mystère de ces êtres singuliers.
Les principes fondamentaux de la République sont-ils contraires au colonialisme ? Quels impacts la colonisation a-t-elle sur un État qui se transforme en métropole d'un empire ? Et quels sont ses effets intérieurs ? Dans ces articles, écrits entre 1936 et 1943, le verdict de Simone Weil est sans appel : coloniale, la France opprime des peuples et perd ses principes. La colonisation rend impossible l'amitié entre les peuples (ce qui posera problème, dit-elle, si la France veut de nouveau enrôler les populations des colonies dans une guerre). Ces réflexions sur la colonisation pensée comme déracinement vont la conduire à son oeuvre majeur : L'Enracinement.
Conçu comme un supplément biographique à la première édition des "OEuvres complètes" de l'écrivain, le tome 70 est paru au printemps 1789. Condorcet y rend un hommage vibrant, personnel et philosophique au grand homme, contribuant à forger pour la postérité une légende glorieuse du patriarche de Ferney, un modèle pour les générations à venir, celui de l'intellectuel engagé. Accompagné d'un dossier de pièces justificatives, il associe devoir de mémoire et plaidoyer pour les Lumières, posant les fondements des idées qu'il développera dans l'"Esquisse d'un tableau historique des progrès de l'esprit humain".
On ne sait pas ce que penser veut dire. Il n'est pas de mot plus banal, de phénomène humain plus courant, plus commun, et la chose même, pourtant, se dérobe. Ce livre voudrait revenir sur cette variété qui place la pensée, entre l'intelligence pure et le corps. Constitué de brefs chapitres, écrit de façon libre, cet essai explore les mots, le lexique : comment on a tâché de dire, en latin, et en arabe aussi, ce que d'un seul vocable imparfait nous appelons « pensée ».
Le 27 avril 1985, Emmanuel Levinas prononce une conférence sur le thème de l'individu intitulée « De l'unicité ». À l'heure des bilans, comment la conscience de l'individu européen peut-elle véritablement demeurer en paix ? Le texte de Levinas est une invitation à penser « l'individu humain » dans sa subjectivité propre d'être unique, dans son « unicité d'unique ». Sans rompre avec la rigueur des formes logiques du langage, Levinas revient sur des questions qui lui sont chères : telles que l'amour du prochain et la justice. La réflexion éthique ouvre désormais un horizon politique. Inédit
"La colère est une courte folie." Venant compléter les Consolations et De la tranquillité de l'âme, traduits et publiés dans cette même collection, ces pages constituent un petit viatique susceptible de nous guider vers la voie de l'apaisement.
Par de courts dialogues, Épictète aborde dans ces pages des problèmes très divers auxquels il donne une réponse pratique. Il traite aussi bien de l'amitié, de l'adultère, de l'essence du bien ou de l'ataraxie que de l'inquiétude, du talent oratoire, du point de départ de la philosophie ou de la façon d'appliquer nos idées a priori. S'attaquant aux épicuriens, le philosophe tend à prouver ici que le stoïcisme est bien la philosophie de l'universel. Cette nouvelle traduction offre au lecteur la possibilité de s'en faire une idée plus précise en venant compléter Ce que promet la Philosophie et le fameux Manuel, ouvrages parus dans cette même collection.
L'Art de persuader est un art de penser à la mesure de la faiblesse et de la grandeur de l'homme. Le latin tardif pensare a donné deux mots au français moderne : « peser » et « penser ». Penser, c'est mettre méthodiquement en balance, en doute et à l'épreuve, sur deux plateaux, avant d'évaluer et juger, les objets de l'expérience entre eux, et avec soi-même. L'Art de persuader de Pascal, écrit en 1658, texte héritier de L'Art de conférer (1580) de Montaigne, suppose une alliance de la raison et de l'intuition, de la logique et des figures rhétoriques, qui rend l'esprit capable de toucher juste, dans une saisie synthétique de toutes les données hétérogènes et contradictoires d'une situation et d'une réception vivantes.
Ce choix d'entrées essentielles du Dictionnaire touareg-français de Charles de Foucauld est comme une invitation au désert.
Nous expérimentons tous, à un moment ou un autre, intimement ou collectivement, la perte : meurtre de masse et deuils collectifs ; craintes fantasmatiques de perte d'identités culturelles, nationales ou territoriales ; perte de l'identité personnelle dans les maladies neurodégénératives ; précarité et perte de statut social ou des conditions matérielles d'existence ; mais aussi critique de la propriété et volonté de désappropriation et de dépossession. Toutes ces expériences font saillir une catégorie étrange qui flotte entre l'être et le non-être : ce que l'on perd, ce qui est perdu. Au titre de reste insignifiant, ce qui est perdu est l'élément essentiel d'une structure économique qui s'étend de la vie des affects au champ politique et à l'éthique (ce qui ne peut être perdu sans menacer l'être-même). Cet essai original retrace le parcours qui va des expériences multiples de la perte (deuil, pauvreté, oubli, nostalgie, sacrifice) aux structures qu'elles mettent en lumière (économie, jeu, histoire) et qui constituent les fondements anthropologiques des cultures et des individus d'aujourd'hui. On y croisera au passage des auteurs tel que Freud, Derrida, Rilke, Agamben, François d'Assise, Benjamin, Hegel, Ricoeur, Bataille, Kundera, Beckett, Canetti...
"Le comte Henri de Saint-Simon est le plus grand de tous les prophètes du XXe siècle. Si on compare les prédictions de Karl Marx à celles de Saint-Simon, il s'avérera que la balance penche très nettement en faveur de ce dernier." Isaiah Berlin
Le chien serait-il notre seul véritable ami ? Telle est la question que pose ce texte cocasse et attendrissant de Bernardin de Saint-Pierre (1737-1814) dont on célèbre le bicentenaire cette année. L'homme des Lumières, qui créa la Ménagerie du Jardin des plantes, s'y joue avec bonheur de nos préjugés.
Ces lettres adressées aux amis les plus proches, à la famille, à quelques figures intellectuelles comme August Strindberg, sont à lire en regard des dernières oeuvres de Nietzsche, Ecce Homo notamment, et la masse des fragments posthumes datés de ces années. Un homme de plus en plus solitaire, voué à l'errance, s'attelle à une tâche démesurée qui lui paraît être la seule suite possible de son oeuvre. Penseur devenu itinérant, ayant quitté l'Allemagne depuis plusieurs années, Nietzsche parle de ce que signifie pour lui le changement de lieu (Sils-Maria, Nice, Turin). Le déplacement devient une des conditions de la pensée elle-même, l'occasion d'une grande mutation du regard. Il s'insurge contre le nationalisme et l'antisémitisme allemands et cherche à définir les conditions d'une grande politique. Expérience d'une pensée qui se veut à la hauteur de l'histoire, trajectoire interrompue par ce qu'on appelle l'effondrement à Turin dans les premiers jours de 1889. (Jean-Michel Rey)