Le discours dominant saisit toutes les occasions de célébrer la « haute valeur » du sacrifice et la plus-value du sacrifié en entretenant des confusions abusives entre « payer le prix de son désir » et « se sacrifier ». À qui profite ce crime, ce détournement, cette perversion du courage alliée à la générosité ?
Pour l'auteur, psychanalyste, les comportements sacrificiels sont des symptômes avec lesquels viennent consulter bien des analysants. Ils font penser au loup dont la patte a été prise au piège et qui la sectionne pour retrouver la liberté de vivre sa vie. Comme ce loup, ces patients auront cru, dans toutes les limites de la mutilation qu'ils se sont imposée, avoir sauvé l'essentiel.
Ils perçoivent une telle mutilation comme un empêchement ou une obligation d'origine étrangère, parfois même comme un renoncement avec lequel ils se sentent en plein accord.
C'est au psychothérapeute, dans la cure, de faire apparaître qu'il s'agit d'un sacrifice que le sujet a cru devoir consentir.
À travers dix récits de cure, Pierre Kammerer nous montre comment remonter aux traumas et aux relations pervertissantes qui font du patient l'« héritier » d'une dette qui n'est pas la sienne. Comment amener le sujet à découvrir qu'il s'est encombré de positions sacrificielles pour survivre à des fautes en réalité jamais commises ? C'est ce parcours qui lui permettra de se dégager de ses « choix » sacrificiels. C'est par ce parcours que passe le processus thérapeutique.
Huit récits cliniques où Pierre Kammerer relate la cure psychanalytique d'adultes qui ont subi, dans l'enfance, la haine de ceux qui étaient censés les aimer, leur père ou leur mère. Ce qui caractérise ces patients, c'est l'aveuglement dans lequel ils se sont enfermés pour ne pas démasquer la perversion d'un parent dont ils ne désespéraient pas d'être aimés. Aveuglement qui les conduit à rester dans la répétition des mêmes traumatismes, à ne pas se protéger du mal qu'on pourrait leur faire.
Pierre Kammerer parle ici d'une 'clinique du témoin' où l'analyste réintroduit la Loi Symbolique (interdit du meurtre, de l'inceste...), prenant ainsi la place de l'autre parent, celui qui, au moment du trauma, s'était absenté alors qu'il aurait dû l'empêcher. Cette restitution du témoin dans le patient lui-même permet à celui-ci d'instruire le procès de son 'meurtier' et d'éprouver la colère ou la haine séparatrices qui lui donneront la capacité de se protéger. Pour cela, il aura fallu aussi que l'analyste 'souffre' de ce qui a fait souffrir l'analysant, le lui traduise et porte avec lui, dans le transfert, la dénonciation de la perversion. C'est ce que nous enseignent ces huit récits cliniques.
Pour conclure, Pierre Kammerer répond à Michel Onfray qui, dans son Crépuscule d'une idole : L'affabulation freudienne, accusait Freud d'être cupide, menteur et partisan des régimes autoritaires, et la psychanalyste d'être 'une hallucination collective appuyée sur des légendes'. Face au philosophe, dont les violentes attaques sont les alliées des pulsions de mort à l'oeuvre dans le monde, le psychanalyste se range résolument du côté du travail de la culture (Freud) pour qu'il se déploie sous le signe d'Éros.
Certaines adolescentes n'ont pu construire des représentations internes de la féminité et de la maternité. Court-circuitant ce travail psychique resté impossible, elles ont confié à leur corps et à leur enfant à naître la mission de les rendre femmes et mères... idéales de préférence. Mission impossible pour cet enfant qui, dans la réalité, ne correspondra pas à l'enfant rêvé durant la grossesse et risque d'être inscrit dans une psychopathologie précoce puis rapidement « placé »... répétant ainsi bien souvent l'histoire de leur mère. C'est contre ce destin que le dispositif clinique finement décrit dans ce livre vient faire rempart. Pierre Kammerer est psychanalyste à Grenoble, enseignant à l'université Lyon 2.