Qui a jamais persuadé son prochain à force d'arguments ? Au cours d'une vie, rares sont les moments où l'on se laisse convaincre et où l'on parvient à emporter l'adhésion de notre interlocuteur, préalablement fortement attaché à une opinion autre que la nôtre.
La rhétorique, traditionnellement définie comme l'art de persuader par le discours, se révèle être une science qui ne remplit pas l'objectif qu'elle se donne. Si l'on s'arrête à cette définition, les premières objections se font jour.
Les hommes argumentent constamment, et en toute circonstance, mais à l'évidence ils se persuadent assez peu mutuellement. Du débat politique à la querelle de ménage, de la dispute amicale à la polémique philosophique, c'est l'expérience constante que l'on en a. Peut-être du temps d'Aristote et des sophistes le rhéteur persuadait-il ses concitoyens à coups de sorites, d'enthymèmes et d'épichérèmes ? Il semblerait qu'aujourd'hui cela ne marche plus.
Ce constat pose une question dirimante à cette science séculaire : qu'en est-il d'une science aussi faillible ? Puis d'autres questions viennent à l'esprit. Pourquoi, se persuadant rarement, les hommes persévèrent-ils à argumenter ? Non seulement ils échouent dans leur stratégie de persuasion, mais rien ne saurait les décourager. Ils persistent à soutenir des controverses interminables, faites d'échecs répétés. Pourquoi ces échecs ? Qu'est-ce qui ne va pas dans le raisonnement mis en discours ? Alors que dans les situations de communication, le message parvient à son destinataire, et qu'il est entendu ? Pourquoi lorsque l'on argumente le message passe-t-il si mal ? Toutes ces questions ont longtemps été laissées de côté par la philosophie, empêtrée dans une succession de controverses qui opposèrent la plupart de ses grandes figures.
Marc Angenot nous propose d'explorer l'univers de la mécompréhension dans la volonté de persuader, d'en analyser les mécanismes, de répertorier les formes du raisonnement logique et celles des errements illogiques, et de nous éclairer quelques cas de dialogues de sourds qui marquèrent l'histoire de la philosophie. Cet ouvrage en vient à poser, in fine, la question de l'universalité de la raison raisonnante et à en dessiner les limites.
L'auteur traverse de nombreux types de discours - du juridique au judiciaire, en passant par le politique et l'historique (question du discours négationniste) - pour illustrer son propos.
La polémique contre le socialisme a été, dans la modernité politique, parmi les plus soutenues, les plus âpres, les plus opiniâtres. De 1830 à 1917 et de 1917 jusqu'à nous, elle a mobilisé continûment une coalition de réfutateurs de divers bords. Cependant, dans la longue durée historique, ce qui apparaît, c'est l'éternel retour d'un nombre fini de tactiques, de thèses, d'arguments formant une sorte d'arsenal où puisèrent les générations successives de polémistes. On peut aujourd'hui encore relever les ultimes avatars de cette argumentation dans les essais d'adversaires d'un socialisme qui, du moins sous sa forme doctrinaire, appartient au passé. Dès qu'apparurent les premières écoles qu'un néologisme (daté de 1832) allait désigner comme «socialistes» - et si contradictoires que pouvaient être les systèmes de Fourier, d'Owen, de Saint-Simon et autres «prophètes» romantiques - une partie de l'opinion s'est dressée contre des doctrines et des programmes qui promettaient de mettre un terme aux maux dont souffre la société, mais qu'elle a jugés absurdes, chimériques aussi bien qu'impies, dangereux, scélérats, et dont des hordes d'essayistes se sont employées à démontrer au public la fausseté et la nocivité. L'auteur analyse dans cet ouvrage près d'un siècle de polémiques et d'attaques contre le socialisme, de réfutation de ses doctrines et de dénonciation de ses actions. Ses analyses débouchent sur une réflexion sur certains conflits cognitifs propres à la modernité.
L'histoire des idées bénéficie d'une pleine légitimité universitaire dans les mondes anglo-américain et germanique. Dans le monde de langue française au contraire, c'est une sorte de terrain vague où l'on aperçoit des passants, des squatters, des occupants sans titre. On n'y rencontre guère en tout cas de travaux de confrontation des méthodes et présupposés de cette discipline répudiée par la plupart des historiens « ordinaires ». Le présent ouvrage cherche à combler cette lacune. Ni traité, ni manuel, il aborde un vaste ensemble de questions, confronte les démarches des uns et des autres, expose les termes de controverses récurrentes. L'auteur y aborde la « vieille » question, déclinée de cent façons, du rôle des idées dans l'histoire. Genre hybride, l'histoire des idées combine historicisation et typologies, et opère sur le produit de vastes enquêtes d'archives. Mais elle comporte aussi, explicitement dans bien des cas, une intention polémique jointe à un engagement personnel, la présence d'un sujet qui interpelle ses contemporains par passé interposé.
Cet ouvrage fouille les doctrines et les programmes de la deuxième Internationale et débouche sur une réflexion théorique portant sur les notions de mythe et d'utopie, sur le caractère antinomique des idéologies modernes et sur la nature de la foi militante.
Parmi les socialismes utopiques du XIXe siècle, une école pratiquement oubliée, mais dont la doctrine s'avère pourtant extrêmement révélatrice.
Jean-Hyppolite Colins (1783-1859) fait partie de ces socialistes utopiques qui ont marqué la première moitié du XIXe siècle. Le premier à parler de « science sociale », Colins a laissé une oeuvre considérable, qui a inspiré une religion scientifique dont les publications et les activités se sont poursuivies jusqu'en 1914.
Marc Angenot s'est intéressé à ces socialistes soi-disant rationnels. Il montre que cette pensée marginale, aujourd'hui renvoyée dans les limbes de l'histoire, malgré - ou à cause de - toutes ses aberrations, est en réalité caractéristique de la pensée du XIXe siècle affrontée au mal social. En outrant jusqu'à la caricature les traits de cette pensée, le colinsisme s'avère plus qu'une amusante curiosité intellectuelle : un révélateur des tendances de toute pensée qui refuse le scandale du monde.
Marc Angenot est professeur à l'université McGill. Auteur de plusieurs livres d'histoire des idées et de théorie littéraire, il a obtenu de nombreuses distinctions, dont le prix des sciences humaines de l'ACFAS pour l'ensemble de son oeuvre.
Marc Angenot a choisi de prendre à bras le corps les grands récits militants de toutes natures des XIXe et XXe siècles ; il repense la question du " socialisme scientifique " en reconstituant l'histoire de la légitimation des remèdes ultimes aux maux sociaux, remontant aux prophètes romantiques fondateurs de " religions de l'humanité ". Il immerge le marxisme et les socialismes révolutionnaires dans cet ensemble idéologique de longue durée et il les fait voir et fait voir le problème de la légitimation politique sous une perspective neuve.
Les années 1958-1981 montent en épingle des exceptions françaises variées et ponctuelles : l'indifférence française au fascisme, Jacques Mesrine et Albertine Sarrazin, la figure de l'énarque, les monologues de Michel Audiard, des intellectuels comme Jean-Louis Borie ou Henri Lefebvre, le punk made in France et la représentation ernalienne de la femme sont autant de cas de figure liés à l'affirmation d'une exceptionnalité hexagonale. Or ces exceptions plurielles engendrent par effet cumulatif une imprégnation des esprits qui les dispose à croire dur comme fer à l'existence d'une universalité de la différence française. Appelé « l'exception française », ce noeud d'idéologèmes passe bientôt pour une évidence et trouvera des utilités diplomatiques quand il se fondra avec l'idée d'exception culturelle lors des négociations de l'Uruguay Round, au sein du GATT, en 1986. La thèse ici défendue est que la théorie des exceptions partielles a conduit à la proclamation d'une exception globale toute théorique.
Ce numéro étudie les liens des Aventures de Tintin avec l'histoire, la société, la politique. Il s'agit plus précisément d'objectiver les discours et les imaginaires sociaux qui pénètrent les albums et que ceux-ci relaient ou réfractent. Car l'oeuvre d'Hergé a toujours été tant intemporelle (voire mythique) qu'actuelle, servant de caisse de résonance et de support iconique à l'histoire en train de se faire, de l'entre-deux-guerres à la postmodernité, en passant par l'Occupation, la Libération et la guerre froide. Sans être pour autant « l'écho sonore » de leur siècle, les albums de la série Tintin portent souvent « la trace du moment où ils ont été dessinés », comme Hergé l'avouait dans une entrevue où il se disait encore « très perméable, très influençable, et à ce titre un excellent médium... » Cette inscription flexible du social expliquerait aussi pourquoi ces albums survivent à leur créateur et continuent de susciter adaptations, commentaires et débats.