Penser serait l'exercice exclusif des sachants de l'Occident. Faux ! Voici l'éloge des marges, des différences et des inconnues qui montre comment et combien, jusque dans la sagesse populaire et les sagesses d'ailleurs, la pensée est la chose la mieux partagée du monde. Une révision profonde de nos idées toutes faites qui nous appelle à nous réveiller. Et si l'Occident n'avait pas été seul à philosopher ? Nous avons longtemps refusé d'admettre cette évidence alors que, très tôt, des ethnologues, des psychologues et des philosophes des sciences ont repéré l'existence de systèmes d'idées dans le reste du monde.
On croisera, dans cette fresque philosophique d'une extrême originalité, des figures intellectuelles peu communes : une spécialiste des Bantous (J. Roumeguère-Eberhardt), elle-même épouse d'un guerrier masaï ; un pionnier de l'ethnographie européenne (A. Varagnac), en quête de notions conçues dans des régions de France étrangères à la pensée dominante ; ou encore un philosophe (E. Ortigues) qui, après avoir séjourné en Afrique, montre que la logique de la découverte scientifique est indissociable des expériences vécues par les individus et les groupes humains.
Au terme de cette traversée, les concepts que nous croyions si bien connaître nous apparaissent sous un jour nouveau, au prisme d'une ethnophilosophie et d'une géophilosophie revisitées.
Un ouvrage essentiel pour sortir de l'ethnocentrisme et en finir avec l'héritage intellectuel laissé par la colonisation.
Émile Meyerson (1859-1933), philosophe français, juif d'origine polonaise, chimiste formé en Allemagne, a élaboré une oeuvre de philosophie des sciences considérable, forte de plusieurs volumes, qui embrasse les conceptions de la science classique comme les principes de la thermodynamique, la théorie de la relativité et la mécanique quantique.
L'oeuvre de Meyerson a longtemps été négligée dans la tradition épistémologique française, alors qu'elle avait rallié à elle nombre des physiciens aussi éminents qu'Einstein et de Broglie ou des psychiatres comme Minkowski et le jeune Lacan.
La « philosophie de l'intellect » de Meyerson fait de la recherche d'invariants dans la nature le principe fondamental de la raison et le ressort inaperçu de l'histoire des sciences. Elle a su aussi bien s'expliquer avec la pensée idéaliste allemande qu'interroger le fonctionnement du sens commun. Elle a entretenu des relations complexes avec certaines théories majeures de son temps, celles de Brunschvicg et de Bachelard, ou celles de Frege et de Schlick. Par son analyse des paradigmes scientifiques du passé, Meyerson annonce Koyré et Kuhn, qui se sont d'ailleurs réclamés de lui. Il ouvre ainsi des perspectives plus que jamais d'actualité dans les débats contemporains en philosophie des sciences.
Frédéric Fruteau de Laclos, agrégé de philosophie, est maître de conférences à l'Université Paris-I Panthéon-Sorbonne et membre du Centre d'histoire des systèmes de pensée moderne. Il a publié en 2009 L'épistémologie d'Émile Meyerson. Une anthropologie de la connaissance et Le cheminement de la penséeselon É. Meyerson, et plus récemment La psychologie des philosophes. De Bergson à Vernant.
La philosophie des sciences d'Émile Meyerson (1859-1933) suscite aujourd'hui un regain d'intérêt. Proche de Bergson, de Brunschvicg et de De Broglie, Meyerson apparaît comme un membre éminent, quoique négligé, de la tradition épistémologique française. Antipositiviste, fin connaisseur de la science classique et de la thermodynamique, il propose de pénétrantes interprétations de la relativité et des quanta. Nourri de métaphysique allemande, il est également curieux des avancées théoriques de son temps, comme en témoignent ses riches correspondances avec Einstein, Husserl, Cassirer, ou encore Dewey et MacTaggart. L'oeuvre foisonnante et complexe de Meyerson, critiquée par Bachelard, n'a cessé d'être lue et appréciée de penseurs tels que Popper, Kuhn et Quine.
Cette étude, s'appuyant sur les grands ouvrages publiés du vivant de l'auteur, mais aussi sur des archives inédites, montre que l'épistémologie meyersonienne représente une très originale et très actuelle anthropologie de la connaissance.
Frédéric Fruteau de Laclos, agrégé et docteur en philosophie, est maître de conférences à l'Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne et membre de l'Institut d'Histoire et de Philosophie des Sciences et des Techniques.
Ce livre propose une enquête sur les rapports de la philosophie française et de la psychologie. Il s'agit d'abord d'étudier la psychologie historique forgée par Ignace Meyerson, en partant de ses sources bergsoniennes (chez Henri Delacroix) et en étudiant ses prolongements dans l'anthropologie historique de Jean-Pierre Vernant. Plus profondément encore, l'enjeu est de remettre au travail des tentatives que l'histoire n'a pas retenues : le personnalisme d'Arnaud Dandieu, la psychologie sociale génétique de Philippe Malrieu ou l'esthétique comparée d'Olivier Revault d'Allonnes. Ces oeuvres, héritières des précédentes, paraissent pouvoir jouer un rôle déterminant dans la conjoncture théorique actuelle. Elles diffèrent de la psychologie politique individualiste de nos contemporains tout autant que des courants réductionnistes en sciences cognitives. Enfin, il s'agit de se demander pour quelles raisons ces pensées originales ont sombré dans l'oubli. Il s'avère que nombre de philosophes célèbres, de Jean-Paul Sartre à Michel Foucault en passant par François Châtelet, ont été à l'école de cette psychologie, mais s'en sont détournés, ou ont omis de rappeler leur dette à l'égard de cette lignée souterraine.
On aurait tort de croire que les années 1950 représentent un ventre mou de la pensée française, une décennie sans éclat coincée entre la vogue existentialiste et la montée en puissance du paradigme structuraliste. Car, si la période manque de visibilité, ce n'est pas dû à la valeur réelle de ce qui s'est produit en philosophie. Il s'agit d'un problème de focale : les années 1950 souffrent des perspectives qui sont les nôtres, et des angles morts que recèlent ces perspectives. Les penseurs de l'époque ne se sont en effet pas contentés de prolonger leurs prédécesseurs et ils ne sont pas davantage les simples précurseurs des philosophes à venir. Si leurs positions ne se ramènent pas à la simplicité d'une catégorie englobante, c'est qu'elles tissent un ensemble complexe de thèses diverses et originales. Les auteurs réunis dans cet ouvrage ont eu à coeur d'évoquer quelques-unes des conceptions singulières apparues dans les années 1950. Ils ont pris en considération des constructions achevées aussi bien que des efforts avortés, des phénomènes de transferts comme des filiations inattendues, des controverses disciplinaires autant qu'interdisciplinaires, que ces ouvertures aient ultérieurement donné des fruits théoriques ou qu'elles n'aient débouché sur rien, tout en méritant d'être reprises aujourd'hui.
Les études ici rassemblées interrogent les articulations et désarticulations que Jean-François Lyotard place au principe du langage. Le volume dessine ainsi les lignes de force et les déplacements de sa pensée, ses présupposés et ses apories. Il montre les malentendus et les polémiques suscités par sa réécriture radicale de la rationalité.
« Pas de langage en général », dit Lyotard, mais des langages multiples, des types de discours hétérogènes que la politique brasse sans pacifier leurs conflits. La recherche du consensus, dont l'« éthique de la discussion » a souligné l'importance, tend à occulter les différends qui divisent les fins respectives des genres de discours. « On ne peut pas être pacifiste en matière de phrases, et pas indifférent. » Car tout enchaînement discursif signe la victoire d'un genre et porte tort aux autres. Sans compter que la parole, quel qu'en soit le registre, éclipse par principe ce qui échappe aux contraintes linguistiques, ce champ de la sensation et du sentiment que Discours, figure explorait, dès 1971, en inventant le « figural ». Après 1983, après l'« ontologie des phrases » du Différend, Lyotard cherche à cerner ce que les mots laissent en souffrance et dont ils doivent pourtant témoigner. Phrase-affect, infantia, donation sensible, Chose sont quelques-uns des noms sous lesquels il pense alors ce qui résiste au langage, le travaille de l'intérieur et signe la difficulté de l'écriture.
Ont participé à ce volume Isabelle Aubert, Geoffrey Bennington, Gaëlle Bernard, Corinne Enaudeau, Frédéric Fruteau de Laclos, Alberto Gualandi, Laurence Kahn, Charlotte Murgier, Andreas Niederberger, Sophie Nordmann, Michel Olivier, Claire Pagès, Ronit Peleg, Gérard Raulet, Jean-François Rey, Jean-Michel Salanskis, François-David Sebbah, Gérald Sfez, Rieke Trimçev.