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Danielle Mémoire
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Noms, prénoms, titres et sobriquets est le vingt et unième d'une série de livres, dont dix-sept publiés aux éditions P.O.L. Dans la plupart de ces livres, on retrouve ce que Danielle Mémoire appelle le « Cercle de littérature appliquée » dont la fonction serait de composer et de discuter, parfois non sans aigreur, le livre même que l'on est en train de lire. Les membres du Cercle, toujours les mêmes à de légères variations près, sont également les principaux personnages des fictions qu'ils ourdissent, transforment, déplacent, effacent.
À chaque livre correspond une forme particulière. La forme de Noms, prénoms, titres et sobriquets est celle de l'acrostiche (poème ou strophe où les initiales de chaque vers, lues dans le sens vertical, composent un nom ou un mot-clé). La suite des premières lettres de chacun des paragraphes compose ici, rangés dans l'ordre alphabétique, les noms, prénoms, titres ou sobriquets des membres du « Cercle de littérature appliquée ». Ces paragraphes ne se contentent pas d'épeler les noms des divers personnages mais s'efforcent de poser, ici et là, quelques thèmes dont la suite ménagera les variations ; ils font souvent écho aux livres qui précèdent, ébauchent eux-mêmes parfois des fictions, ou, pour quelques-uns, se donnent à lire comme des manières d'aphorisme, souvent avec humour. -
Ou plusieurs feignant un seul.
"1.
La même nuit que moi, ou la veille au soir, dans la même clinique, naît le fils d'un héros local de la Résistance. Le moment venu de me donner un prénom, duquel on ne s'est jusque-là pas mis en peine, ma mère demande comment s'appelle le fils du héros local. Le prénom connaît une version féminine. On ne va pas chercher plus loin." -
Ceci est un texte de théâtre. Ou plus exactement un texte qui met le théâtre en scène puisque la pièce est aussi une pièce qu'un narrateur très changeant raconte. On ne s'en étonnera pas, l'action se déroule à Brioine, et tout autour, ce lieu mythique et central de la grande entreprise littéraire de Danielle Mémoire : le corpus. Elle s'en donne à coeur joie, jouant comme à l'accoutumée, mais servie au delà du descriptible par le dispositif théâtral, des niveaux de représentation, des illusions et des changements de rôle. L'écriture y est sans doute plus «raisonnable», apparemment, que dans ses autres textes, elle n'en est pas moins inventive et efficace quand il s'agit de prendre le lecteur dans ses rêts invisibles.
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"- Cette marquise, donc, Archambaud, ai-je dit, était l'auteur du Corpus.
- La marquise, l'auteur ? a dit, a demandé Archambaud Blot. L'on nous aura voulu bailler ce canard à moitié !
Que, dans sa jeunesse, plutôt jolie femme, ce qui ne fait rien à l'affaire, la marquise, aujourd'hui, ne demeurait fameuse dans les salons alentours, où pourtant l'on ne brillait guère ni par l'esprit ni par l'humilité, que pour sa sottise et pour ses prétentions.
- Les livres, Archambaud, cependant..., ai-je dit.
- Les livres ? a dit, a demandé Archambaud Blot. Tenez que ce sont ces messieurs, bien sûr, les soirs d'hiver après la chasse, lorsqu'ils avaient un peu trop bu, qui les ont écrits de concert." -
«Cet arbrisseau, qui est extrêmement commun, qui croît très-promptement, qui se multiplie plus qu'on ne veut, & qui réussit dans les plus mauvais terreins, seroit donc tout à fait convenable pour former des haies de défense, s'il n'avait le plus grand défaut ; il trace en pullulant sur ses racines, & envahit peu à peu le terrein circonvoisin : ce qui fait qu'on le redoute, qu'on cherche au contraire à s'en débarrasser, & qu'on ne l'emploie tout au plus qu'à former des haies sèches où il est plus durable que l'aubépin. La pharmacie tire quelques secours de ce vil arbrisseau ; le suc de son fruit exprimé & épaissi en consistance d'extrait, est ce que l'on appelle l'acacia nostras, que l'on substitue quelquefois au vrai acacia. On tire des prunelles encore vertes un vinaigre très-fort par la distillation au bain-marie. Les prunelles vertes pilées dans un mortier font une ressource immanquable pour rétablir le vin tourné. On peut aussi les manger comme les olives, après les avoir fait passer par la saumure ; & en les faisant fermenter après qu'elles ont été passées au four lorsqu'elles sont mûres, on en tire une boisson qu'on prétend être agréable. Tant il est vrai qu'on peut tirer du service des productions de la nature qui paroissent les plus abjectes.» (Encyclopédie ou Dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers, par une société de gens de lettres)
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Ils sont là, encore et toujours, ces personnages que depuis plusieurs des livres de Danielle Mémoire on retrouve : habitants du château de Brioine, qui s'agitent et parlent, vivent et meurent et échangent leurs rôles et jusqu'à leur propre histoire, cette fois sous la forme théâtrale. Et l'on retrouve ici certaine scène inaugurale de la saga du Corpus : le manuscrit à moitié brûlé, abandonné sous la pluie à l'orée du domaine et qui, écrit d'une encre curieusement indélébile, lacunaire, et cependant corrigé - par quelle main? -, raconte l'histoire des habitants du château de Brioine. La forme théâtrale convient parfaitement à ces jeux de miroir et de reflets, à ces échanges rapides, à ces dispositifs en échos où de bien plus sombres enjeux que ceux dont il semble être question viennent donner profondeur et gravité à ce qui se donne l'élégance insolente d'un divertissement.
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Et, chacun d'eux, l'auteur unique du Corpus.
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«Un petit livre de rien du tout que je tenterais d'écrire en attendant Esclarmonde, et intitulerais En attendant Esclarmonde, qu'est-ce que tu en penserais? Que ce serait un peu sot? Parfaitement sot? Ou bien encore pas si sot que cela?» Comme avec la plupart de ses livres Danielle Mémoire met ici en scène, en page, l'écriture du livre qu'elle écrit, son élaboration, les degrés et les niveaux par lesquels cette alchimie si particulière à son oeuvre se met en place. Les personnages qui le traversent en sont aussi les auteurs, changeants, fugaces, incertains, et ce dispositif sans cesse reconduit mais à chaque livre perfectionné, enrichi de ceux qui le précèdent, est d'une sophistication vertigineuse. Les identités, les histoires, les passés circulent et s'échangent selon une écriture, une langue, d'une rare distinction.
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Où l'on retrouve l'univers si particulier et original de Danielle Mémoire, et ce corpus qui en est la planète secrète, génératrice, et que la succession des livres dévoile peu à peu sans jamais l'élucider : des histoires entremêlées de famille et de littérature, des fictions qui se prennent pour objet même de leur épanouissement.
Où l'on retrouve cet esprit qu'anime une folle logique qui multiplie les abîmes et les mises en abîme, qui ne s'épargne aucun détour vers les zones les plus obscures de la pensée et de la vie.
Où l'on retrouve ces personnages qui s'échangent, se contredisent, prétendent tous et successivement être l'auteur du fameux corpus.
Où l'on retrouve cette écriture inimitable qui use avec une inégalée maîtrise de toutes les ressources de la rhétorique classique et qui les manipule avec tant d'humour et de talent qu'elles en deviennent de la plus belle avant-garde qui soit. -
Où l'on retrouve les mêmes, ces personnages récurrents d'un livre à l'autre de « l'auteur », sortis du Corpus dont ils sont à la fois les créatures et les créateurs, le Corpus, cet incommensurable ensemble d'où tout provient. Le Corpus, matrice et générateur de fiction, grand oeuvre secret. Membres du cercle des auteurs, ou exclus, imposteurs ou auteurs incertains, fugaces, revendicateurs, fuyants : « Puis enfin n'est-ce pas la règle, pour tout apport au Corpus, que son auteur s'y perde en tant que tel ? ». Les mêmes et d'autres, à moins que ce ne soit toujours les mêmes cachés sous d'autres apparences. Les masques tombent, ils sont remis en place mais la perspective ni le point de vue ne sont plus les mêmes. Et pourquoi cet incendie ? Et qui est-elle, celle dont la venue effraie tout le monde ? Quel remord figure-t-elle, de quelle vengeance est-elle l'instrument, de quel pouvoir la détentrice ? Vertige de fictions où, cependant, de grandes questions morales finissent par discrètement être posées et s'imposer par le moyen d'une écriture qui tends ses pièges et déroule ses splendeurs depuis bientôt trente années.
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Le Cabinet des rebut peut être le premier volume d'une courte série, elle-même interne au Corpus, de laquelle série les titres du moins reprennent ceux de nos ouvrages tombés en quenouille au cours des deux dernières années. Il peut aussi ne pas l'être.
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Trois capitaines est un roman-jeu, un roman-piège : tout se passe au travers d'écrits dérivés, secondaires : lettres, carnets intimes. C'est-à-dire que le roman n'y est jamais donné comme tel, comme fiction, ce qui procure paradoxalement une étonnante impression de réalisme ou, plus exactement d'authenticité. Il s'agit de recomposer pour un écrivain qui pourrait très bien se reconnaître dans l'un de ses livres la vie d'un autre écrivain qui vient de mourir. Une femme, proche de ce dernier, s'y attache, distillant au long de lettres énigmatiques des informations qui ne le sont pas moins. Ainsi une figure mystérieuse, contrastée, contradictoire, peu à peu se dessine. Cependant le/la signataire des lettres elle-même, ou lui-même, devient un personnage important du livre lorsqu'il apparaît au fil des pages que son sexe et son identité ne sont pas si certains qu'on le pensait. L'idée d'une machination, d'un chantage, d'une supercherie se fait peu à peu jour et finit par s'imposer. Mais qui est le chasseur, qui le gibier?
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La trame de ce livre sous forme de dossier se construit à partir de matériaux donnés comme préexistants ou, aux marges de la littérature, comme réels : fragments de journaux intimes, correspondances, commentaires, études, documents... Au milieu de cette accumulation, la lecture est motivée par la question de l'identité de l'auteur, identité chaque fois remise en cause par la diversité des textes qui se succèdent. Sur fond de disputes - aussi bien théoriques et littéraires qu'odieusement triviales -, de captations d'héritage, de vol, d'usurpation d'identité, de dissimulation et de supercherie, le lecteur troublé est saisi de vertige, accentué par le caractère particulièrement élaboré de l'écriture.
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Quelqu'un (mais qui donc, à la fin?) se trouve là (dans ce livre que vous tiendrez entre vos mains) pour publiquement lire un ouvrage en cours dont il ou elle n'est pas forcément l'auteur, et en débattre, ainsi qu'il est en principe annoncé. Ce lecteur, particulièrement complaisant, mais pas toujours, va se couper en quatre, voire en beaucoup plus que quatre, au point qu'une possible vérité s'impose : il n'y a pas un lecteur mais des lecteurs, il n'y pas une histoire mais des histoires. À moins que ce ne soit exactement le contraire, ou bien que la question ne soit pas là mais dans l'incertitude des identités et dans l'affolement de la fiction, que la question soit dans le «déplacement du regard selon le temps, du désir selon le regard».
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Existant un vaste corpus, on se propose, dans un premier temps, d'examiner les conditions sous lesquelles en prélever un fragment assez décemment long pour en faire un livre. Il est décidé, dans un second temps, que c'est en cet examen même que consistera le livre. Le moment venu, toutefois, de s'y mettre, on se retrouve faisant tout autre chose : d'anciennes histoires qu'on évoque, ou prolonge, de nouvelles qu'on esquisse. L'examen sera pour une autre fois, le prélèvement pour un autre livre, le tout, sans doute, pour jamais.
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«De notre vaste, de notre inachevable ouvrage, Un livre modèle, celle d'entre les strates qu'il nous arrivait aussi, pour nous-mêmes, et par dérision, d'intituler De la belle voisine, constituait la plus pauvre et la plus plate. Nous n'eussions pu écrire qu'elle était la plus plate sans penser à Flaubert, ni préciser, donc, qu'elle l'était «comme un trottoir». Au réalisme, il n'était aucun d'entre nous qui valût grand-chose. Cette strate, pourtant, était nécessaire au tout. Nous la publiâmes, qu'on n'en parlât plus.»
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Dans la tour, premier roman de Danielle Mémoire, s'ouvre avec la mort du personnage principal, Jean Fontanes, écrivain célèbre, honoré, respecté, qui vient de s'éteindre dans la maison de son enfance, Nantais. Sa secrétaire, Inès Keller, était auprès de lui, transcrivant sous sa dictée son dernier livre, un journal intime. Jean Fontanes était âgé, aveugle, il avait depuis le suicide de sa fille cessé d'écrire. Que faire de ces pages imprévues? La soeur de l'écrivain, Madame Joubert, et Inès Keller vont en disputer longuement et, à cette occasion, nous permettront d'entrer dans l'oeuvre et dans la vie de l'écrivain dont il semble que ces pages de journal sont une sorte de résumé énigmatique.
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«Le présent index s'engendre, ou s'enfante, sans autre forme de procès, de l'article Galatée dans tel dictionnaire de la mythologie grecque et romaine, et doit, à ce titre, être regardé comme un simple exercice de style. Les apparentes incohérences devront en être renvoyées à la diversité, d'une part, des espaces (cf. Glossaire), à celle, d'autre part, des rédacteurs. Dans la nécessité, parfois, d'évoquer jusqu'au détail les différents volumes auxquels il renvoie, et d'en fournir de larges citations, il n'ira pourtant pas jusqu'à dispenser quiconque de la lecture d'aucun.»
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«Le Printemps du Corpus appartient à une série dont trois volumes ont déjà été publiés, dont plusieurs autres, peut-être, le seront ; quelques-uns, déjà constitués, ne sont pas destinés à l'être. Il existe, parallèlement au projet, et qui en est la première condition, un ensemble de quelque deux ou trois mille pages, non destiné à la publication, auquel on se réfère sous le nom de Corpus. On peut regarder cet ensemble comme celui des notes de travail qu'auraient recueillies un auteur, ou plusieurs supposés collaborer, sur le cours d'un nombre indéterminé années. La définition de cet auteur, ou de ces auteurs, lui-même ou eux-mêmes relevant de la fiction, peut faire l'objet de beaucoup parmi les notes dont se constitue le Corpus.»
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Parmi les fautes que j'ai faites, nous disait l'auteur, ou l'un des auteurs, il se peut que la principale soit le livre même dont c'est là le titre. J'ai toujours, il est vrai, ajoutait cet auteur, compté au nombre de ceux qui voient, dans l'erreur et dans l'échec, plus de fertilité que dans la réussite ; et j'ai passé l'âge de changer d'avis. Fautes que j'ai faites est le cinquième volume de la série encore inachevée, peut-être inachevable, qui commençait avec . On y rencontre les mêmes personnages. Les mêmes questions peuvent y recevoir des solutions nouvelles. Le titre en est repris d'une page ajoutée de la main de Sade (et généralement publiée à cette place) après la première partie des 120 journées de Sodome. Il s'agit ici, de même qu'il en va pour Sade, d'un relevé des erreurs commises dans la rédaction d'un texte préalable. La différence est que, ici, le texte prélable n'existe pas à proprement parler dont, au-delà de rares coquilles, recueillies des volumes précédemment parus, des fautes imaginaires esquisseront seules le fantômes. Diverses fictions ne s'y trament pas moins, sous prétexte de révision; des épisodes s'y déforment, des destins s'y infléchissent : c'est un roman ; ou peut-être, même, en sont-ce plusieurs.
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Où l'on retrouve l'univers si particulier et original de Danielle Mémoire, et ce «Corpus» qui en est la planète secrète, génératrice, et que la succession des livres dévoile peu à peu sans jamais l'élucider : des histoires entremêlées de famille et de littérature, des fictions qui se prennent pour objet même de leur épanouissement. Où l'on retrouve des personnages qui échangent leurs rôles, qui font vaciller toute certitude, qui multiplient les pistes et les entrecroisent avec innocence ou perversité, c'est selon. Où l'on retrouve cet esprit qu'anime une folle logique qui multiplie les abîmes et les mises en abyme, qui ne s'épargne aucun détour vers les zones les plus obscures de la pensée et de la vie. Où l'on retrouve cette écriture inimitable qui use avec une inégalée maîtrise de toutes les ressources de la rhétorique classique et qui les manipule avec tant d'humour et de talent qu'elles en semblent de la plus belle avant-garde qui soit. Mais il s'agit donc ici d'histoires d'oncles, de neveux et de nièces. Et si l'ordinateur, en ce qu'il s'ingénie à faire disparaître des fichiers, joue cette fois un rôle non négligeable, on notera aussi que Mes Oncles, II nous permet d'assister de manière privilégiée aux séances de ce Cercle qui, au château de Brioine, semble à l'origine du «Corpus». Cela ne nous permettra pas mieux de percer le mystère de sa rédaction, mais au contraire, l'épaississant à l'envi, nous procurera davantage encore de plaisir.