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Christine Jeanney
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Ça arrive tous les jours de croiser des gens. N'importe où : dans la ville, une rue, à la sortie d'un immeuble, derrière la porte d'une salle d'attente... Et comme on ne sait rien d'eux, on peut tout imaginer. Ici, dans ce supermarché, ils sont dix-huit qui font leurs courses, clientes et clients réguliers du lundi matin. Ce sont des personnes ordinaires qui ressemblent à tout le monde.
Ou à personne. -
Cosmogonie est un mot rond, mais ce n'est pas un mot rétréci. Le monde y est bien plus grand que les récits qui le façonnent, mais, à bien y regarder, les cosmogonies parcourent nos heures de gestes simples, se multiplient dans l'instant de nos silences. Elles vont petites et foisonnantes à la rencontre des vies qui les contemplent.
Éloge du doute et de la nuance, l'écriture s'y jette comme le risque qui va à la brisure. De petites cosmogonies pour dire l'attention qui s'en retourne invariablement à ce qui «doit» être moindre. Cahots et soupirs y cherchent une manière d'être au monde. Le déploiement d'une cosmogonie, aussi fragile soit-elle, demeure une tentative : l'appel à faire brèche. -
En résidence d'auteur à l'IMEC (Institut Mémoires de l'Edition Contemporaine installé dans l'Abbaye d'Ardenne près de Caen), Christine Jeanney nous offre avec simplicité et émotion sa vision de ce lieu où des chercheurs du monde entier viennent enrichir leurs travaux.
Elle nous fait entendre ce silence qui est de mise dans toute bibliothèque, comme miroir à la règle des moines copistes.
Elle évoque également au fil des pages, les drames qui se déroulèrent dans cette abbaye.
Un très beau livre où la poésie se double d'une élévation spirituelle. -
Quand les passants font marche arrière ça rembobine
Christine Jeanney
- Publie.net
- 16 Novembre 2012
- 9782814506930
" Le 18 juin 2011 j'ai lancé sur Twitter un appel (du 18 juin) à don de photos.
"Ma demande est la plus large et la plus vague possible, aucune consigne sur ce qu'elles peuvent représenter ou leur format, parce que j'aime les surprises. C'est justement ce que je cherche, ne pas savoir à l'avance ce qu'il y aura sur la photo qu'on m'enverra.
"J'enregistre toutes les photos reçues dans un dossier nommé Todo liste. Chaque matin, j'en choisis une, plutôt à l'instinct, sans idée préconçue, parfois sans même avoir regardé la photo trop précisément, je préfère, il y a là-dedans une sorte de logique qui m'échappe.
"Je me donne ensuite la journée pour écrire une liste de 4 points /occurrences /choses à faire, à dire ou à penser en réaction / réponse / écho à cette photo, ma « Todo liste ». Le résultat est mis en ligne à 00h01 sur le blog tentatives. Parfois, j'écris le texte d'un seul jet, d'autres fois, il me faut la journée entière et je le modifie jusqu'à 23h59.
"En fait, c'est presque un jeu de déplacement : la photo se déplace vers moi, elle vient de je ne sais où, et moi je me déplace vers elle, un endroit surprenant, ça donne un texte imprévisible, avec des pistes qui partent presque sans moi, que je n'ai qu'à suivre, ou à débusquer.
"C'est une drôle d'expérience, à la fois sous contrainte et très libre. C'est ça, les Todo listes."
Christine Jeanney
... et on comprend aisément pourquoi et comment les Todo List de Christine Jeanney sont ainsi devenues en quelques mois un blog culte. Bien sûr il fallait les rassembler, mais ce faisant, l'objet devient tout autre : énigmatique plus de 50 contributeurs pour les images, et une création epub de Roxane Lecomte, voici le tome 2, de 181 à 365.
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"Comme le désir sexuel, la mémoire ne s'arrête jamais", écrit Annie Ernaux dans Les années. "Elle apparie les morts aux vivants, les êtres réels aux imaginaires, le rêve à l'histoire." L'oblique est un regard que l'on jette derrière soi, à un moment donné, pour pouvoir repartir. La mémoire est notre béquille. S'asseoir à côté de quelqu'un qui raconte en un souffle les trajectoires familiales, et c'est tout un flux d'images et de paroles qui se déploie, non pas à la vitesse de la lumière mais à la vitesse de la mémoire. Cette voix en nous-mêmes prête à conter la légende familiale et les drames du passé, l'écho des souvenirs, le staccato du flux photographique, nous la portons car "il reste des séquelles des autres corps" en nous.
Oblique est l'un de ces livres qui savent à la fois fragmenter la mémoire comme les petits morceaux aimantés de Ligeti et lui donner l'élan du souffle unique, la tension tenue d'une injonction mythologique : ne te retourne pas.
« Je n'ai pas raconté d'histoires. La vie
est un fouillis qui tourne en tenant sur
son coeur un morceau de la valse de
Sibelius, parfaitement triste et
parfaitement inimitable. »
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On s'imaginerait une maison à construire ; on s'imaginerait une maison à construire avec des murs ; on s'imaginerait une maison à construire avec des murs de lumière ; dans cette maison aux murs de lumière, chaque pièce serait remplie de tessons de porcelaine brisée, oh comme tout serait brisé ; ce serait à nous de réparer ; ce serait difficile, nous serions obstinés ; nous recollerions tout ce que nous pourrions retrouver.
Yoko Ono réinventée. Elle est à la fois le message et le medium de ce roman kaléidoscopique qui la prend pour objet. De ses créations d'art contemporain à sa musique en passant par son histoire intime avec John Lennon, la mythologie qui a pu en naître, mais aussi son enfance, ses zones d'ombres et sa postérité, c'est un portrait fractal qui se dessine. Un portrait zen composé d'une infinité de petits tessons de porcelaine brisée, dont chaque fragment contiendrait une clé possible de son oeuvre. Une maison ouverte à chacun, un atelier de travail dont l'écriture, limpide, nous entraine dans une danse (et une transe) créatrice. En cela, c'est aussi une enquête minutieuse : les morceaux sont bien faits pour être recollés. Ou recomposés encore dans le travail d'invention plastique effectué par Christine Jeanney et qui accompagne la lecture de ce livre.
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« Statistiques : une femme sur sept. » C'est tout ce qu'on saura sur ce qui justifie l'hospitalisation de la narratrice.
Texte sans pathos : on examine le temps, les objets, les couloirs, les lumières. La reproduction de Dufy au mur, la translation qu'on fait de son corps jusqu'aux toilettes. Un bruit d'école dans le lointain.
On interroge la relation sociale, même dans le détail et le grossissement des conversations qui vous rejoignent là, infirmières notamment : les places, croirait-on, sont interchangeables.
Il n'est donc moins question de clinique (au sens où Deleuze et Guattari nous y emmenaient) que de signes, et donc de littérature.
Sauf en cela qu'elle nous concerne par notre contact le plus direct au monde, et à une expérience dont nul de nous n'est indemne - une femme sur sept, qui d'entre nous ne connaîtrait pas l'une d'elles ?
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53 jours, c'est le temps qu'il avait fallu à Stendhal pour écrire sa Chartreuse de Parme, au point que Perec reprendrait plus tard cette contrainte pour son dernier livre. 21 jours, prétend Faulkner, pour écrire Tandis que j'agonise... Pour Simenon, pour Balzac, on a aussi ces étranges datations ramassées, périodes où on est prêt, qui sont un rendez-vous avec soi-même, et vous mènent à une oeuvre qui vous dit et qu'elle commence, et, plus tard, qu'elle finit.
Ainsi sont nées ces Fichaises, 71, une par jour. Et le fait qu'elles rebondissent d'une à l'autre, tissent des liens ou se complémentent, se dédoublent, interrogeant avec obstination ce même rapport à la vie quotidienne, fait des rêves, des conversations, des plus humbles tâches et de comment brille le soleil : il sera question ici d'un chapeau, d'un cirque, d'un coup de téléphone - et ce n'est pas le plus facile des défis. Surtout lorsqu'on souhaite, comme ici, cette légèreté et de la vie et de la parole, le grain d'insolence, et la beauté des phrases.
Mais si l'auteur n'était pas dans son travail permanent d'énonciation du monde, de quête des images, de voyage par le web, est-ce que ce rendez-vous quotidien pendant neuf semaines, que nous étions probablement pas mal de centaines à suivre, aurait pu se développer ?
Voici donc l'autre étage, celui du livre...
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Peut-être parce qu'un déménagement c'est comme l'écriture : on se prépare progressivement, parfois longtemps au premier jet, on est violemment embarqué, puis débarqué.
Sauf que dans le déménagement, c'est la vie matérielle (ce beau titre de Marguerite Duras) qui est renversée : papiers retrouvés, objets enfouis, vies précédentes qui débordent soudain à vos pieds.
Alors promener avec soi son carnet, tandis qu'on emballe les cartons avant le camion, c'est un sismographe. On ne noterait pas, on ne saurait ensuite s'en souvenir ou retrouver.
Et voici cette trace sismique de l'infraordinaire. Cinquante cartons numérotés, et la très grande maîtrise de Christine Jeanney, archéologue ou jongleuse, grave comme dans la maladie qui hante ses Signes cliniques ou joyeuse comme dans ses Fichaises.
Et pour nous, ce travail de plain pied sur les signes du quotidien, la maison par les enfants qui l'occupent. Et après l'intermède camion, les pièces vides dans lesquelles on les ressort, les cartons.
Le texte porte en exergue : "Du 1er juin 2011, 9h54, au 10 juin 2011, 20h33". Je décide qu'à 22h53 ce texte est en ligne. C'est cela aussi que déplace le numérique : écriture sismique, l'édition suit. Le pari que vous lecteurs aussi, et longtemps.
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Un homme, deux femmes, la peinture, ateliers, galeries, exposition, une ville indéterminée et peu à peu le chemin du fantastique qui absorbe l'ensemble.
Les romans et récits concernant, avec les moyens de la littérature, la fascination qu'exerce l'art de peindre, et comment il peut restituer l'illusion de réalité, déplacer notre rapport même à la réalité, c'est un fil rouge de l'histoire de la fiction.
On relève d'emblée le défi narratif d'aller sur ce territoire, où sont le Chef d'oeuvre inconnu de Balzac, L'Oeuvre de Zola, L'image dans le tapis de James, ou comment Elstir traverse la Recherche.
On ira au bout de ce défi, jouant avec l'autre archétype d'art extrême : le vieux peintre chinois se représentant lui-même marchant dans sa toile.
Parce que, à cet endroit de la confrontation du narratif et de peindre, via l'opposition construite, ici, de deux figures d'artistes, l'homme et la femme, pas possible de contourner la mort, ou l'hospitalisation entre déprime et folie, et pas possible de contourner l'ekphrasis : les toiles seront décrites à même le texte, il portera à sa surface des objets qui ont une autre loi que le récit, appelant l'image à s'ancrer dans le texte sans le défaire.
Mais ce qui est le plus troublant, dans ce texte, c'est comment l'instance actuelle de l'art devient le substrat même du récit. L'organisation sociétale de l'art et comment on le regarde : la galerie, l'exposition collective, l'atelier, et ces lieux étranges dans les villes où on propose aux artistes de cohabiter.
Et la ville, justement. Ici, juste une initiale abstraite. C'est elle qui obsède, elle dont la peinture cherche une instance de vérité, et tout ce qu'on peut en produire c'est l'énigme.
Christine Jeanney livre un récit d'une grande maturité, parce que cette complexité est littéralement avalée par le mouvement du récit, la tension qui l'habite. On pourra la retrouver sur son site de chroniques de lectures et critiques, où souvent ont été chroniqués des textes de publie.net : Pages à pages. Et dans Tentatives, son laboratoire d'écriture.
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Les sirènes on ne les voit pas un couvercle est posé dessus
Christine Jeanney
- Publie.net
- 12 Avril 2012
- 9782814506039
Le 18 juin 2011 j'ai lancé sur Twitter un appel (du 18 juin) à don de photos.
Ma demande est la plus large et la plus vague possible, aucune consigne sur ce qu'elles peuvent représenter ou leur format, parce que j'aime les surprises. C'est justement ce que je cherche, ne pas savoir à l'avance ce qu'il y aura sur la photo qu'on m'enverra.
J'enregistre toutes les photos reçues dans un dossier nommé Todo liste. Chaque matin, j'en choisis une, plutôt à l'instinct, sans idée préconçue, parfois sans même avoir regardé la photo trop précisément, je préfère, il y a là-dedans une sorte de logique qui m'échappe.
Je me donne ensuite la journée pour écrire une liste de 4 points /occurrences /choses à faire, à dire ou à penser en réaction / réponse / écho à cette photo, ma « Todo liste ». Le résultat est mis en ligne à 00h01 sur le blog tentatives. Parfois, j'écris le texte d'un seul jet, d'autres fois, il me faut la journée entière et je le modifie jusqu'à 23h59.
En fait, c'est presque un jeu de déplacement : la photo se déplace vers moi, elle vient de je ne sais où, et moi je me déplace vers elle, un endroit surprenant, ça donne un texte imprévisible, avec des pistes qui partent presque sans moi, que je n'ai qu'à suivre, ou à débusquer.
C'est une drôle d'expérience, à la fois sous contrainte et très libre. C'est ça, les Todo listes. Voici les 180 premières.
Christine Jeanney
... et on comprend aisément pourquoi et comment les Todo List de Christine Jeanney sont ainsi devenues en quelques mois un blog culte. Bien sûr il fallait les rassembler, mais ce faisant, l'objet devient tout autre : énigmatique collection de photographies du monde, fiction appliquée aux signes les plus quotidiens, et un labyrinthe de lecture (testez donc le petit signe "lecture aléatoire") qui justifie pleinement l'objet numérique pour aller plus loin que le site. Avec 51 contributeurs pour les images, et une création epub de Roxane Lecomte... -
Folie passée à la chaux vive
Stéphane Martelly, Christine Jeanney
- Publie.net
- 24 Août 2010
- 9782814503557
Une série de toiles d'une très grande force, qui arrive dans votre vie sans prévenir et y reste comme un caillou définitif : Stéphane Martelly peint, mais elle est aussi écrivain, enseigne la littérature créative à l'Université de Montréal et participe à plusieurs groupes de recherche sur la littérature haïtienne.
Et si, dans cette conjonction qui désormais nous rejoint tous, de se saisir d'un outil ou d'un autre pour affronter ce qui, à chacun, nous est essentiel, on était à la fois dépossédé de ce travail, et en paix pour accepter comment il rebondit pour un autre ?
Dans ces toiles s'écrit une autre coupure : Haïti, l'île, sa langue, remplacée par Montréal, la ville, et la langue liée à l'histoire d'Haïti, mais dans un autre écart.
Et peut-être que la magie de notre liberté numérique commence ici : un dialogue s'amorce sur ces toiles entre Christine Jeanney, écrivain et peintre aussi, depuis la Franche-Comté. Les textes qu'elle va écrire sont des incursions presque monologuées dans chacune des dix toiles proposées. D'une part, son dialogue avec Stéphane Martelly va résonner dans ses textes et les orienter, d'autre part, son écriture va provoquer chez Stéphane une démarche d'explicitation inédite, comme en amont de la poésie ou du récit, depuis sa démarche de peintre.
Les textes de Christine Jeanney sont en surimpression de détails des toiles. Les notes de Stéphane Martelly accompagnent la toile et son titre. Elles resteront dans cette distance : ainsi (et j'y reconnais des indices de son approche de l'écriture créative avec les étudiants que nous avions en partage), on y reconnaîtra un mouvement passant par ce qu'elle nomme « douleur/émotion », puis « texture/génétique », une note sur le « contexte » qui ne recule ni devant le politique, ni l'autobiographique, enfin une note sur la « musique ».
Ces notes au départ n'étaient pas destinées à cet objet numérique que nous publions, et pourtant cela nous est apparu à nous trois comme une évidence : c'est le mouvement par quoi ces deux écritures se sont produites ensemble, l'une par l'autre provoquées, qui nous permet de regarder autrement les toiles, et - symétriquement - que s'écrive ici ce noyau que nous avons tous en partage, moins la « folie » et celles et ceux, des plus humbles, des plus proches, ou ce qu'on y reconnaît dans un autoportrait, que là où elle bouscule le fait littéraire, et où nous avons telle dette à Antonin Artaud.
Qu'on me permette d'ajouter, outre ce lien entre notre travail de transmission et d'exploration à tâtons de la création littéraire, que nous nommons en France « l'atelier d'écriture », et le dialogue que j'ai entretenu avec Stéphane Martelly dans ce compagnonnage de Montréal, que je suis fier, par cet ensemble exclusivement et nativement numérique, d'ouvrir publie.net à la spécificité haïtienne, ce qui s'y joue d'histoire et de langue nôtres.
François Bon