Entre la perfection humaine, que Descartes définissait comme l'aptitude de ne point faillir dont nous jouissons tous naturellement, et le perfectionnement indéfini de l'humanité dont Condorcet fit le vecteur de l'histoire universelle, surgit quelque chose d'étrange que Rousseau nomma la perfectibilité, presque illimitée, de l'individu comme de l'espèce.
C'est à ce mot que s'attache le présent recueil, moins pour faire l'histoire d'un concept ou d'une idée que pour comprendre les devenirs aléatoires d'un signifiant, emporté par des polémiques inattendues et réinvesti dans des conjonctures imprévisibles. Pourquoi déclara-t-on l'homme perfectible et en quels multiples sens le réaffirma-t-on ainsi ou, au contraire, s'y refusa-t-on ? Voilà ce qu'il n'est peut-être pas tout à fait inutile de se demander à l'heure où l'on s'effraie moins de concevoir l'espèce comme indéfiniment progressive que l'individu comme reproductible à l'identique.
Le bicentenaire de la Révolution reconduit à l'emblème de celle-ci : la Déclaration des droits de l'homme. L'ouvrage se propose de retracer la trajectoire non exhaustive du rejet depuis Burke (1790) au jeune Marx (1844).
Propose une comparaison systématique de trois entreprises, dans le dernier tiers du XVIIIe siècle, visant à résoudre le problème de la scission genèse-histoire : le tableau historique français, l'histoire naturelle écossaise de l'humanité et la théodicée allemande de l'histoire.
Cet ouvrage est un ouvrage d'histoire comparée des philosophies ainsi qu'une histoire polémique des historicités de Vico à aujourd'hui. Il s'attache donc à comparer les philosophies des Lumières, en France, en Angleterre et en Allemagne avant d'élaborer quelques études transversales de concepts. Comment faire une histoire européenne des philosophies, quel rapport nos sociétés ont-elles entretenu avec le temps historique depuis l'âge des Lumières ? C'est donc une histoire européenne des philosophies et une philosophie des rapports à l'Histoire.
Ce dont il s'agit ici, c'est de fournir au lecteur une table d'orientation, qui devrait lui permettre tout bonnement de "lire" « L'esprit des lois », c'est-à-dire de s'y aventurer, alors même que le premier contact n'aura guère pu être que désespérant - ni plus ni moins qu'avec la « Métaphysique d'Aristote » ou la « Critique de la raison pure ». Cela n'est possible que si l'on s'engage à étudier l'entreprise dans sa totalité, et comme une totalité philosophique, donc comme l'invention d'une pratique argumentative foncièrement originale, qui vise à élaborer de nouveaux problèmes. Celui d'abord, théorique, d'une science expérimentale des institutions humaines. Celui ensuite, politique, d'un recensement des moyens disponibles - quels qu'ils soient - pour freiner le passage au despotisme. Identifier comparativement les contraintes, qui rendent raison de telle loi ou de telles moeurs dans une conjoncture donnée, juxtaposer - a contrario - tout ce dont un despote ne pourra jamais s'accommoder : telle est la double tâche, au vrai bien singulière, qu'effectue Montesquieu, et qu'il s'agit de comprendre transitivement, pour ce qu'elle donne à penser, hier et aujourd'hui.
Démographiques ( Paris), sous l'autorité du Groupe Condorcet, un impressionnant volume intitulé Tableau historique des progrès de l'esprit humain. Projets, Esquisse, En 2004 est paru à l'Institut National d'études Fragments et Notes ( 1772-1794). Ainsi découvrait-on un énorme chantier dont la fameuse Esquisse n'était que l'une des composantes, aussi célèbre que mystérieuse pour autant qu'elle était soustraite jusqu'alors à l'entreprise globale où elle s'insérait.
Une réévaluation d'ensemble s'imposait, qui prenne la mesure de cette formidable tentative dans les ambiguïtés de son inachèvement. Elle ne fait ici que s'engager en se demandant d'abord ce que Condorcet avait somme toute en vue, l'élaboration d'une philosophie de l'histoire spécifique, «à la française», ou une fondation des sciences sociales. Elle interroge ensuite les connotations rhétoriques, épistémologiques et théologiques du syntagme tableau historique, lequel était à l'époque d'usage fort courant. Elle se demande enfin comment ce tableau devient de fait historique quand le récit s'arrime à l'Orient. Ce ne sont là que les amorces d'une réinterprétation générale dont d'autres, éblouis à leur tour, prendront tôt ou tard le relais.
Cette analyse fouillée des rapports complexes reliant de Gaulle et l'Allemagne ne traite pas seulement de l'histoire des relations franco-allemandes pendant la Ve République, mais de toute la vision gaullienne de l'Allemagne qui se forge dès 1916. Jacques Binoche aborde tour à tour l'Allemagne au centre des réflexions militaires de l'officier de Gaulle pendant l'entre-deux-guerres, les réactions allemandes aux idées politiques et stratégiques de De Gaulle, le chef de la France libre face à l'Allemagne nazie, l'ermite de Colombey jugé par l'Allemagne d'après-guerre, la politique allemande du président de Gaulle, « La solution d'un problème aussi vaste que celui de l'Allemagne ne peut avoir que de grandes dimensions et de grandes conséquences. La France, pour sa part, croit qu'il ne pourra être résolu autrement que par l'Europe elle-même, parce qu'il est à la dimension de l'Europe tout entière. C'est là à terme, sur ce continent, l'objectif essentiel de la politique de la France », dit de Gaulle en 1965,
On ne se passe pas aisément du concept, si c'en est encore un, de civilisation. Chacun convient de son importance, mais son histoire, en français au moins, reste bien sommaire. Aussi n'était-il pas inutile d'y revenir en croisant un axe géographique (civiltà, civilisation, civilization, Zivilisation) et un axe historique (de la barbarie selon Leibniz à l'épistémè selon Foucault). Il en ressort un paysage fort contrasté où le terme, non seulement recouvre bien des significations incompatibles - et comment pourraît-il en aller autrement? -, mais aussi plusieurs statuts bien distincts - car un simple mot n'est pas un concept, comme un concept n'est pas un maître-mot. La «civilisation» se définit donc par ses équivoques, lesquelles résultent de ses usages, plus ou moins scrupuleux. Après avoir prédit le triomphe de la civilisation, on peut bien annoncer le choc des civilisations, mais cela ne contribue pas à y voir plus clair. Aussi, aux fracas de la prophétie, les collaborateurs réunis dans ce volume ont-ils préféré les méandres de l'analyse: moins tonitruants sans doute, mais, de détour en détour, plus riches de ce qui éclaire ces grands mots qui nous engagent toujours plus que nous ne le souhaiterions.
En France, Nietzsche fut un temps l'emblème oraculaire de toutes les subversions et son nom côtoyait couramment ceux d'Artaud et de Bataille. Puis vint l'âge de son académisation qui permit sans doute bien des avancées et où on lui attribua l'insigne mérite d'avoir élaboré un système tout à fait cohérent dont la reconstitution méticuleuse pouvait occuper toute une vie. Le présent ouvrage fait le pari que le moment est peut-être venu de mettre en avant un autre Nietzsche, dont l'oeuvre obéit à une dynamique originale où s'enchevêtrent des registres dont l'homogénéité ne va pas de soi. C'est le concept d'historicité qui est mobilisé à cette fin. Le passé lointain auquel doit régresser le savoir généalogique ; la réitération indéfinie du même présent que la sagesse de l'éternel retour doit inciter à vouloir ; le futur un peu brumeux de très long terme auquel doit oeuvrer le véritable créateur : trois temps et trois registres dont l'analyse a été distribuée ici en trois problèmes - objectivité, répétition, évolution. On ne doit pas trop vite présumer qu'ils n'en font qu'un. Au contraire : toute la difficulté est de savoir comment tirer ensemble ces fils, si seulement il faut les nouer et si oui, selon quelles modalités, qui ne sont pas forcément celles du système. On peut encore dire ce qui précède autrement : si Dieu est mort et si Nietzsche s'est efforcé à tout prix de conjurer la posture du prêtre, le lecteur doit en tirer les conséquences. Interpréter, c'est ruminer, pas refermer.
Onze historiens et philosophes s'interrogent sur l'émergence du concept d'opinion publique dans cette Europe éclairée, où l'on a cru, à tort ou à raison, qu'à la doctrine publique émanant d'une autorité religieuse identifiable, on pouvait et on devait substituer une raison publique par essence incompatible avec tout dogmatisme et procédant des facultés individuelles. Les auteurs proposent au lecteur une double approche.
Le premier volet de cette enquête est essentiellement historique : il s'articule autour de thèmes majeurs comme la production et le contrôle de l'opinion publique dans les grandes monarchies de l'Europe moderne, ou encore l'attitude de groupes sociaux, comme les économistes ou les parlementaires, qui éprouvent le besoin de justifier leur action ou leurs positions intellectuelles en invoquant « l'opinion publique ».
Le second volet, plus philosophique, se focalise sur le concept lui-même. Quelle définition peut-on donner de l'opinion publique ? Quelle fonction est-elle appelée ou non à jouer pour assurer la cohésion d'une société ? Pourquoi tabler sur elle plutôt que sur la vertu civique ou la foi religieuse ? Si on suit ici sa vigueur à l'époque des Lumières, c'est autour de la Révolution que ces questions prennent une intensité particulière...