Extrait
Introduction
Qu’est-ce que la Bible ?
Il n’y a pas de réponse neutre à cette question.
La version que nous proposons appartient à la grande famille des éditions protestantes de la Bible. Elle se compose de deux parties : d’une part, l’Ancien Testament écrit à l’origine en hébreu (à l’exception de quelques chapitres en araméen ; cf. Dn 2.4n ; Esd 4.7n), qui constitue à lui seul l’intégralité de la Bible juive ; d’autre part, le Nouveau Testament, écrit en grec, exclusivement chrétien quoique la quasi-totalité de ses auteurs soient d’origine juive. Les éditions catholiques et orthodoxes comportent d’autres textes dans leur Ancien Testament (voir l’introduction à l’Ancien Testament) ; mais les livres présentés ici figurent dans toutes les Bibles chrétiennes.
Les livres ? Le singulier « la Bible » vient en fait d’un pluriel grec, ta biblia, « les Livres ». On a en effet affaire à un foisonnement de textes divers, écrits à des époques, en des lieux et par des gens fort différents, textes qui ont pourtant été rassemblés depuis bien longtemps pour constituer un seul livre. Des livres, donc, qui se donnent à lire à la fois séparément et en relation les uns avec les autres.
C’est dire qu’il y a une distance culturelle, linguistique, historique et géographique variable (près d’un millénaire sépare, par exemple, l’hégémonie assyrienne de l’époque romaine), mais en tout cas considérable, entre les textes et nous. Certes, comme bien d’autres écrits, chaque page de la Bible a quelque chose à nous dire dès l’instant où nous la lisons. Cependant elle s’est adressée, d’abord, à d’autres qu’à nous. C’est pour qu’il soit possible au lecteur de tenir compte de cette distance et d’entendre chaque texte dans sa tonalité propre que nous avons conçu cette édition d’étude. Elle comporte :
- des introductions générales à l’Ancien et au Nouveau Testament, ainsi que des introductions à chaque livre de la Bible. On n’y trouvera pas systématiquement une indication de l’auteur, de la date et du lieu d’origine de chaque texte : de tels renseignements sont souvent hypothétiques, parfois d’autant plus douteux qu’ils se veulent précis ; ils n’ont en tout cas pas le même degré de certitude ni la même importance pour tous les écrits bibliques. Qui plus est, les accords entre les spécialistes étant toujours partiels et provisoires, il aurait fallu, à maintes reprises, procéder à une juxtaposition laborieuse et néanmoins incomplète des thèses concurrentes, sans que le texte biblique en reçoive pour autant un éclairage décisif. Si les introductions que nous proposons sont tributaires des vastes connaissances amassées par l’étude scientifique de la Bible, elles sont aussi au bénéfice de la lecture individuelle et communautaire de l’Ecriture, telle qu’elle se pratique notamment dans les diverses familles du protestantisme. Elles s’efforcent avant tout de remettre dans sa perspective chaque texte tel qu’il nous est parvenu, de faire apparaître sa logique et ses structures propres et de suggérer des pistes pour une lecture enrichissante, à la fois signifiante pour le lecteur et attentive à la particularité de chaque écrit.
- une mise en page comprenant des paragraphes et des titres destinés à faire ressortir la structure du texte. Elle s’attache en particulier à distinguer la poésie de la prose sur la base d’une analyse métrique de l’original et à signaler les emprunts d’un texte à un autre, notamment les citations de l’Ancien Testament dans le Nouveau. Il importe toutefois de se rappeler que ces distinctions typographiques ne figurent pas dans l’original, quoiqu’elles résultent d’une analyse sérieuse du texte. Il en va de même des titres, qui s’efforcent de faire apparaître l’organisation du texte tout en pesant le moins possible sur son interprétation.
- des notes en bas de page, qui tentent de rendre compte du texte et de ses particularités dans le détail : autres traductions possibles, variantes des manuscrits et des versions anciennes, informations culturelles, linguistiques, historiques et géographiques susceptibles d’éclairer certains aspects du texte. Il ne s’agit jamais d’un commentaire doctrinal indiquant au lecteur « la bonne interprétation du texte » dans la perspective d’un « message biblique » global. Les notes constituent plutôt un atelier où chacun pourra venir chercher les outils nécessaires à l’étude, pour enrichir et renouveler sa propre lecture — lecture dont il reste seul responsable.
- intégrés dans les notes, de nombreux renvois à d’autres textes : d’abord des références bibliques consultables dans la présente édition, suivant le grand principe protestant qui veut que l’Ecriture sainte soit son propre interprète ; mais aussi des écrits extérieurs à la Bible, au moins dans son « canon protestant », et, dès lors, cités in extenso ou résumés1. Ces derniers écrits sontissus de la vaste littérature, essentiellement juive et chrétienne, dont le corpus biblique s’est détaché. Les citations qui en sont faites ne prétendent à aucune « autorité ». Comme il ne s’agit que d’extraits, elles ne permettent pas à elles seules de se faire une idée précise de cette littérature. Elles peuvent être antérieures ou postérieures au texte biblique dont elles sont rapprochées, et elles ne visent pas forcément à « l’éclairer » : rien ne saurait l’éclairer mieux, en général, que son contexte immédiat. Mais elles montrent comment les jeux de miroirs de l’intertextualité (la pratique toujours commune aux juifs et aux chrétiens de faire abonder, voire proliférer le sens des textes en les rapprochant les uns des autres) ont pu se produire, avant même que la rédaction de toute notre Bible soit achevée, au sein d’un ensemble bien plus large encore. Sur chacune des œuvres ainsi citées, un renvoi à l’index signalé par un astérisque (*) permettra d’obtenir quelques renseignements essentiels.
- un index, donc, quiprécise surtout le sens « biblique » de termes traditionnellement employés comme équivalents de tel ou tel mot hébreu, araméen ou grec, quand la traduction les a conservés, faute de mieux, en dépit d’un certain décalage avec leur sens le plus courant dans le français actuel — ainsi des mots comme « cœur », « chair » ou « esprit » ne sont pas forcément à prendre au sens qui viendrait spontanément au lecteur dans un texte moderne. Certes, la traduction aurait pu lever toute ambiguïté au cas par cas, comme elle l’a fait pour de nombreux autres termes ; mais on aurait sans doute perdu, ici et là, des notions essentielles à la Bible, qui ne correspondent pas tout à fait aux représentations courantes de nos jours. Sans vouloir fournir une synthèse conceptuelle (car la diversité des emplois d’un même mot ne se laisse pas toujours synthétiser dans un concept qui en serait le « dénominateur commun »), l’index décrit l’usage de ce « français biblique », de façon à aider le lecteur à corriger, le cas échéant, l’écart par rapport à l’usage moderne prépondérant. On y trouvera par ailleurs une foule d’informations sur le monde de la Bible, ainsi que des renvois aux principales notes explicatives.
- entre l’Ancien et le Nouveau Testament, ainsi qu’à la fin de l’ouvrage, figurent également d’autres annexes :notamment des repères chronologiques, un tableau synoptique présentant un plan comparé des quatre évangiles, des cartes géographiques et une concordance permettant de retrouver aisément de nombreux textes de la Bible. Mais une bonne partie des informations historiques et géographiques sont réparties dans l’ensemble du livre, sous forme de cartes, de tableaux et d’encadrés, à l’endroit où elles sont le plus utiles ; il reste en tout cas possible de les retrouver à partir de l’index général.
Quant à la traduction, elle résulte de plusieurs révisions, sur les originaux, de celle qui a été réalisée dans la seconde moitié du XIXe siècle par Louis Segond, docteur en théologie de Genève. Dans sa révision posthume de 1910, qui différait assez peu de la première édition, cette traduction s’est imposée à l’ensemble du protestantisme francophone, et sa renommée s’est étendue bien au-delà. Après une révision plus importante parue en 1978 (connue sous le nom de Bible « à la colombe »), elle a été de nouveau l’objet d’un examen approfondi dans les années 1990. Plus d’une cinquantaine de spécialistes ont été consultés pour passer la traduction de chaque livre biblique au crible des découvertes modernes, qui nous permettent de mieux comprendre aujourd’hui les langues et l’univers culturel de la Bible. Les responsables de la révision se sont en outre appliqués à rendre la traduction plus cohérente, pour que les correspondances possibles entre les différentes parties de la Bible en français reflètent, autant que faire se peut, les relations qui ont été effectivement établies entre les textes originaux. L’outil informatique a été d’une grande aide dans ce domaine. On a procédé quelquefois à une actualisation du vocabulaire : des tournures et des termes vieillis ont été remplacés par des équivalents plus courants aujourd’hui, et on a préféré l’expression la plus naturelle quand le sens de l’original ne faisait pas de doute.
Cependant la présente traduction reste à bien des égards une traduction classique, donc exigeante. La Bible, en effet, est un ouvrage complexe. Dès lors qu’il y a eu « Bible », c’est-à-dire recueil de textes d’époques, d’auteurs et de genres différents, le lecteur, même si l’hébreu ou le grec était sa langue maternelle, a été obligé de fournir un sérieux effort pour la comprendre. Les auteurs de la présente traduction, depuis Louis Segond jusqu’à ses derniers réviseurs, ont choisi de ne pas faire de la simplicité leur principal objectif. Ils ont tenu à conserver ou à mettre en valeur les images, les métaphores, les évocations et les représentations propres aux langues originales — qui ont d’ailleurs largement contribué à la formation de la langue française — au moins lorsqu’elles ne présentent pas un risque sérieux de contresens (dans le cas contraire, les particularités de la tournure originale sont indiquées en note [« litt. »]). Il s’agissait en effet de rendre non seulement ce qui est écrit — ou du moins ce que nous en comprenons — mais aussi, autant que possible, la façon dont cela est écrit. Un de nos principaux soucis a été de garder une distance critique par rapport au risque d’aplatissement ou d’affadissement, sinon de dérive, inhérent à toute traduction d’un texte présentant autant d’enjeux, risque qui augmente à mesure qu’on « simplifie ». Le texte, en effet, résiste toujours à l’ambition du traducteur, qui consiste à dire « simplement » ce qu’il a compris de la façon qu’il trouve « naturelle ». Une traduction destinée à l’étude porte nécessairement les traces de cette résistance. Elle navigue entre des écueils qu’elle ne peut pas toujours éviter tout à fait, redoutant autant d’être plus claire que l’original que d’être plus obscure que lui, d’être plus élégante que d’être plus maladroite. Ce faisant, elle espère préserver ce qui fait, sur le plan littéraire, la particularité de la Bible : un livre à plusieurs voix qui n’est pas seulement l’objet d’une lecture linéaire à sens unique, mais aussi d’une relecture individuelle et communautaire à plusieurs niveaux — relecture en devenir dont témoigne, sans l’enclore, l’histoire de l’exégèse. Elle se doit de servir la rencontre, toujours à refaire, entre les textes et leurs lectures diverses, sans mesurer ce qu’elle transmet à l’aune de l’interprétation du moment — si savante et autorisée soit-elle.
S’il ne fallait dire qu’un mot sur le contenu de la Bible, ce serait peut-être ce qui va presque toujours sans dire : la Bible est connue comme un livre qui parle de « Dieu ». Pourtant elle en parle assez rarement sur le mode de la théologie, c’est-à-dire du discours théorique (tel qu’il se déploie dans l’épître aux Romains). Elle comporte des récits où « Dieu » est acteur, où il agit et parle directement, de diverses manières (p. ex. Gn 1—11 ou Jonas), comme les dieux des anciennes mythologies... et toutefois différemment, pour autant qu’il s’agit du Dieu unique. Plus souvent elle désigne en lui le maître et le juge invisible de l’histoire d’un peuple, voire de l’histoire tout court, dont les événements heureux ou malheureux apparaissent comme les effets de ses actions salvatrices ou punitives (Deutéronome ; Rois). Elle rapporte des paroles d’hommes (les « prophètes » comme Amos ou Osée), et parfois de femmes (p. ex. la prophétesse Houlda, 2R 22.15ss), qui parlent ou écrivent au nom de « Dieu » et dont le discours nous semblera cependant maintes fois plus éthique, social ou politique que religieux. Elle renferme aussi des prières (p. ex. les Psaumes), c’est-à-dire des paroles d’hommes et de femmes adressées à « Dieu », où s’expriment tour à tour allégresse et désespoir, effroi et confiance, désir et regret. Elle contient encore des récits (p. ex. Esther), des poèmes (p. ex. le Cantique des cantiques) et des réflexions (p. ex. l’Ecclésiaste / Qohéleth) où « Dieu » peut sembler passablement absent.
En tout cela la Bible reste, aussi, un livre humain — au point que théologiens et philosophes l’ont souvent jugée trop humaine. Pourtant la tradition chrétienne, et les protestants y ont insisté, reconnaît dans tous les textes qui la composent — et pas seulement dans les discours attribués au locuteur « Dieu » — une parole de Dieu, le produit d’une inspiration divine (cf. 2Tm 3.16). Cette confession de foi est souvent paradoxale : même là où Dieu ne parle pas (p. ex. Ruth), Dieu parle ! Même là où Dieu est violemment pris à partie (p. ex. Job 3—31), Dieu parle ! Plutôt que de souscrire à une telle affirmation avec une hâte irréfléchie ou de la rejeter d’emblée, mieux vaut sans doute l’entendre comme une invitation à l’approfondissement, à la recherche, ou au désir...
Le Comité de rédaction